Un examen des données du recensement de 1931 nous donne un portrait de la vie pendant ces années. Grâce à ce document, on peut faire un certain nombre d'observations.
Les familles
En incluant les personnes seules et couples sans enfant, il y a 101 familles, résidant dans 93 habitations, pour un total de 595 personnes (324 masculin, 261 féminin). En observant de plus près, on voit que 9 familles ont plus de 9 enfants, parmi lesquelles:
Albertine Vallée et Arthur Thomassin, 12 enfants de 2 à 19 ans;
Cedenia Rodrigue et Joseph Vallée, 12 enfants de 3 à 21 ans;
Kate Dawson et Albert Vallière, 11 enfants de 1 à 23 ans;
Rose Anna Maheu et Arsène Simoneau, 11 enfants de 2 à 18 ans;
Amanda Thomassin et Joseph Dubé, 10 enfants de 2 à 16 ans;
Marie Louise Fortier et Albert Vallée, 10 enfants de 3 à 17 ans; *
Maria Fortier et Odina Thomassin 9 enfants de 2 à 11 ans;
*Ce couple perd 2 enfants à la naissance en 1930 et 1931
Nombres d'enfants Nombre de ménages/familles
0 | 11 |
1 | 13 |
2 | 12 |
3 | 10 |
4 | 12 |
5 | 8 |
6 | 8 |
7 | 7 |
6 | 5 |
9 et + | 9 |
Les patronymes les plus fréquents
On compte ici le nom du père, car c’est ce nom qui était donné aux enfants:
1- Fortier, à 12 reprises, pour 46 personnes
2- Thomassin, à 10 reprises pour 55 personnes
3- Clavet, 8 fois pour 21 personnes
4- Simoneau, 8 fois pour 38 personnes,
Viennent ensuite les Vallée (39 personnes), Giroux, Simoneau, Goudreau, Auclair et Dawson. Concernant le nom de famille Goudreau, il est écrit parfois Gaudreau et Gaudreault!
Métiers
Le métier de cultivateur, en majorité de fermes laitières, occupe 65 chefs de famille (parfois la femme veuve avec ses enfants majeurs), 57 hommes ou garçons sont aides fermiers (quelques fois chez un oncle ou grand-père), 53 hommes sont bûcherons. On compte aussi 6 marchands, 3 contracteurs (de moulin à scie ou bois de pulpe), 5 menuisiers, 4 institutrices, 2 vendeurs/vendeuses, 2 chauffeurs, 1 conducteur d’élévateur (Richard Jennings), 1 postillon et 1 prêtre, lequel est la seule personne dans le village à posséder une radio.
On note aussi qu’une personne est trop malade pour travailler. Quant aux effets de la crise économique, en excluant les cultivateurs, 15 personnes ont déclaré avoir été sans travail, pour des périodes allant de 12 à 26 semaines, mais la plupart, moins de 17 semaines.
Pour ce qui est de la religion, bien sûr, tout le monde est catholique. Il y avait bien eu quelques mariages mixtes, mais les hommes impliqués dans ces mariages s’étaient convertis, tel James Doherty, avec Katie Carroll. La seule exception est John Kearman, 29 ans, employé sur la ferme de Joseph Duguay. Il est né en Russie/Autriche (probablement né dans ce qui était l’empire austro-hongrois, mais dont une partie est devenue russe après la 1919). Il est de religion gréco-catholique. Une courte recherche nous indique qu’il serait venu rejoindre un frère habitant en Ontario, et qu’il se prénommait en fait Ivan. Il n’est pas resté dans la région.
La dernière Irlandaise
Une information particulière qu’on retrouve dans ce recensement est qu'on y trouve la seule personne encore vivante née en Irlande, soit Mary Whelan, du Comté Carlow. Elle avait épousé Owen O’Neil en 1860 à Ste-Brigitte. Son fils Patrick O’Neil est décédé en 1936, soit 4 ans après sa mère. Sa fille Rita a épousé le fameux Johnny Goudreau en 1913, et figure donc sous le nom de Goudreau au recensement, et leur autre fille Millie (Mary Ellen) a épousé John J Dawson en 1908, la grand-mère de Dennis Dawson. Mary est décédée en 1932, âgée de 98 ans, même si ce chiffre est approximatif, car on n’a pas son acte de baptême.
Outre son fils Patrick, qui a 70 ans, on trouve encore 5 Irlandais âgés, soit James Doherty, 88, Willie Dawson, 84, John Boylan, 78 Jerry Tierney, 73 et Thomas Keough, 74, mais qui sont nés dans les débuts de Ste-Brigitte.
10 autres personnes ont plus de 70 ans, dont Marie Duchesne qui en a 82.
Le bilinguisme
Comme on s’y attendrait, après environ 100 ans de cohabitation, plusieurs familles étaient encore bilingues, quoique ce nombre a diminué fortement suite à l’émigration des familles irlandaises depuis les années 1880. Si on prend seulement le « chef de famille » ou la « maîtresse de logis », termes utilisés à l’époque pour les 101 familles, 55 ont un ou les deux membres du couple qui parlent anglais, donc plus de la moitié. Dans le cas des enfants, la transmission de l’anglais est plus faible, sauf évidemment dans le cas de couple où la femme est d’origine irlandaise, comme la famille d’Albert Vallière et Kate Dawson, dont tous les enfants s’expriment en anglais, ou de Jean « Johnny » Goudreau et Rita O’Neil. Mais il y a quelques autres couples francophones dont les enfants utilisent la langue de Shakespeare, comme ceux de Joseph Touchette et son épouse Georgianna Thomassin, de même que les enfants de Charles Clavet et Georgiana Le Rossignol (d’origine jersiaise), les enfants d’Octave Langevin et Emma Parent, de Théodore Thomassin et Belzémire Clavet et les deux enfants plus âgés de Joseph Auclair et Aurélie Parent. À noter que les enfants d’Edward Le Rossignol, un descendant d’origine jersiaise qui parle anglais aussi, et de son épouse Virginie Thomassin, ne s’expriment pas dans cette langue.
Enfin, le prêtre Isidore Drouin de même que trois des quatre institutrices s’expriment en anglais.
L'école et l'alphabétisme
On peut affirmer que la vaste majorité des enfants entre 7 et 13 ans va à l'école. Quelques jeunes de 6 ont déjà commencé, soit 7, mais c'est la moitié seulement. Pour les jeunes de 7 ans, 12 sur 16 sont à l'école. Pour l'ensemble des enfants de 8 à 12 ans, c'est la totalité des 81 jeunes garçons et filles qui sont à l'école. À partir de 13 ans, certains jeunes deviennent aide-fermier ou aide-ménagère. Ainsi, à 13 ans, 15 enfants sur 18 sont à l'école, mais à 14 ans, c'est 8 sur 11. Un seul jeune de 15 ans est à l'école (sur 8), et une seule jeune fille de 16 ans est à l'école, sur 9 au total.
Quant è l'alphabétisme, la vaste majorité des jeunes adultes savent lire et écrire. Parmi la quarantaine d'adultes ne sachant lire ou écrire, il s'agit surtout de personnes âgées de plus de 50 ans.
Les salaires et gages
Pour les gens qui étaient employés ou journaliers, nous avons les informations quant à leurs gains. Il faut spécifier ici que les gages réfèrent à des revenus obtenus pour une période déterminée, alors qu’un salaire est normalement une rémunération régulière. En 1931, selon Statistiques Canada, la moyenne des salaires et gages était de 931$ pour les hommes et de 546$ pour les femmes. À SBDL, la moyenne était beaucoup plus basse, ce qui est normal dans une petite communauté, où sans aucun doute, le coût de la vie était moins élevé qu’en ville. Quant aux cultivateurs, les données ne fournissent aucune information quant aux revenus qu’ils auraient pu obtenir de la vente de leurs produits, on assume donc qu’ils étaient malgré tout largement autosuffisants.
Voyons quelques exemples de revenus parmi les habitants de Ste-Brigitte:
Georges Thomassin cantonnier (réfection des routes) 1200$
Joseph Fournier domestique pour le curé 420$
Anna (Fournier) servante pour le curé 420$
Georges Simoneau menuisier (sans travail pour 24 mois) 200$
Robert Vallée aide-fermier pour son oncle 480$
Honoré Thomassin (fils) postillon, malle rurale 750$
Charles Clavet menuisier, ouvrage général 930$
René Clavet, son fils mesureur de bois 670$
John Kearman aide-fermier chez Joseph Duguay 300$
Elise Trahan institutrice 300$
Artemis Gaudreau institutrice 300$
Alphonse Vallière menuisier 230$
Léon Vallière, son frère menuisier 200$
Amédée Clavet chauffeur de truck 2000$
Ernest Bégin cuisinier, camp de bois 800$
Gerard Simoneau chauffeur de truck 600$
Richard Jennings conducteur d’élévateur (Château Frontenac) 1040$
Victorien Jennings vendeur de marchandises sèches 684$
Joseph Touchette menuisier, ouvrage général 1000$
Corinne Bédard servante dans une famille privée 180$
Adrienne Morin institutrice 360$
Bernadette Morin, sa soeur institutrice 300$
Pour ce qui est des bûcherons, on remarque que 6 d’entre eux font plus de 500$ de gages par année, 17 font plus de 400$, 17 plus de 300$ et 13 moins de 300$, mais la grande majorité de ces derniers ont passé plusieurs mois sans travail. Les gages moyens des bûcherons sont de 450$. Un article intéressant est paru dans le journal Le Quotidien en mars 2023 sur ce métier:
L’époque révolue des bûcherons https://www.lequotidien.com/2019/07/06/lepoque-revolue-des-bucherons-067f3ab86608eea97a1d03c2cf8ec6f8/
Sur cette photo apparaissent :Béatrice Vallée (8 ans en 1931, fille de Albert et Louise Fortier)
Jean Duguay (fils de Joseph at Alexina Lajeunesse, 15 ans en 1931), Maurice Vallée (13 ans en 1931, fils de Albert et Marie Louise Fortier)
Emilia Thomassin, Adrien Vallée (son frère, âgé de 14 ans en 1931),Alice Thomassin (14 ans en 1931, fille d’Arthur et Albertine Vallée)
Paul Vallée (âgé de 14 ans en 1931, fils de Hormidas et Marie Verret ), Jean Simoneau ? Georges Duguay (11 ans en 1931, frère de Jean)
Germaine Vallée (10 ans en 1931, soeur de Béatrice), Daniel Giroux ?
Valeur des propriétés
Parmi les données disponibles, il y a celle de la valeur des propriétés de même que les coûts de loyer pour les rares locataires du village. Voici un tableau qui résume la situation :
Valeur Nombre de propriétés
-500 $ 7
+ de 500$ 16
+ de 1000$ 26
+ de 1500$ 25
+ de 2000$ 10
+ de 2500$ 2
+ de 3000$ 3
La propriété dont la valeur est la plus élevée est celle de Jean Verret. On note enfin qu’il y a onze familles ou ménages qui sont locataires, pour des sommes allant de 2$ à 6$ par mois. Il est difficile de comparer ces données avec celles d'aujourd’hui, mais si on compare avec par exemple un secteur urbain comme la rue Champlain à Québec, la valeur des propriétés y dépassait 10 000$ et les loyers par mois étaient dans les 70-80$.
Notons aussi que presque toutes les maisons sont construites en bois d’oeuvre, sauf pour 5, soit les maisons d’Odina Thomassin, de Marie Thomassin (veuve Vallée), Odilon Maheu, Philias Verret et Thomas Fortier. Leurs maisons sont bâties en pierre.
Un portrait des BMS
Pour compléter ce regard sur Ste-Brigitte en 1931, regardons le registre des baptêmes, mariages et sépultures pour les quelques années avant et après.
En 1929, il y a eu 21 baptêmes, dont 4 Thomassin et 3 Fortier; 14 sépultures, dont un enfant anonyme de Albani Fortier et Anna Thomassin et un autre anonyme Fortier, de Ligori Fortier et Marie Louise Maheu. On note aussi le décès d’un personnage ayant marqué la communauté, David Berryman, à l’âge de 59 ans. Notons aussi un nom particulier parmi les décès, soit celui de Michael Boychuck, décédé à 48 ans à l’Hôtel-Dieu, et inhumé au cimetière de Laval. Ce nom de famille n’apparait nulle part ailleurs à Ste-Brigitte, ou même dans les environs, et semble d’origine ukrainienne ou polonaise. Était-il un travailleur agricole comme John Kearman, qui apparait au recensement de 1931 ?
Il n’y a eu qu’un mariage en 1929. Le 26 août, 8 mois après le décès de David Berryman, sa fille Emma Agnes épouse Edouard Villeneuve, un chauffeur de Stoneham, dont la mère est irlandaise (Laughan).
En 1930, nous avons 23 naissances, dont 6 Thomassin et 4 Fortier. On déplore encore trois enfants mort-nés, soit un anonyme Thomassin de Albert et Rose Anna, et un anonyme Vallée, de Albert et Marie Louise Fortier, les deux au mois de janvier et un 2e enfant de Ligori Fortier et Marie Louise Maheu. En plus de ces 3 décès, il y a 9 autres sépultures. L’année voit 4 mariages: Thomas Fortier et Évangéline Giroux; Emile Noé Fortier et Blandine Clavet; Hubert Giroux et Aurora Edwita Thomassin; Pierre Hector Gaudreault et Amanda Langevin; Georges Olivier Thomassin et Philomène Clavet.
En 1931, il y a 24 naissance, dont 7 Thomassin, 5 Fortier, 2 Giroux et 2 Gaudreault. Il y a 7 sépultures, dont celle d’un enfant anonyme d’Albert Vallée et Marie Louise Fortier. On note aussi le décès de Thomas Gregory Dawson, à 81 ans, décédé à St.Brigid’s Home, lieu de retraite de la communauté irlandaise à Québec, où se retrouveront plusieurs des Irlandais de Laval à la fin de leur vie. Son frère Michael a longtemps vécu à Ste-Brigitte, de même que son fils Leopold.
Enfin, l’année 1931 voit 3 mariages célébrés dans la paroisse: Edouard Giroux avec Fleurette Thomassin, Lucien Simoneau avec Elzire Touchette et Joseph Xavier Verret avec Laura Clavet.
Concernant le décès de jeunes enfants, on sait que dans les années 1920-1930, la tuberculose représentait un danger réel, causant 3000 décès par année au Québec, et qu’il y a aussi eu des épidémies de poliomyélite dans ces années. (source): https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/documents/lspq/ligne-du-temps-maladies-infectieuses.pdf
Quelques questions non résolues…
Daniel Carroll, qui apparait sur la liste des électeurs de 1935 et est décédé à Ste-Brigitte en 1951, mais n'apparait pas au recensement...
Le prêtre Drouin encore là en 1935, est le seul qui possède une radio.
La famille Dickey est présente en 1935: Johnny, journalier, Florida, James, absente en 1940. Cette famille n'a fait qu'un court passage...
John Kearman est encore présent en 1935, mais pas en 1940.
La famille James Degrasse (De Grace?), cuisinier et Elizabeth son épouse, sont sur la liste électorale de 1935, mais pas au recensement de 1931.
À la ligne 83, apparait la famille « Delrepell » , qui n’est plus là en 1935. S’agit-il du nom de famille Dalrymple ? La mère Mary est veuve, âgée de 43 ans, et un fils nommé Thomas a 4 ans. Nous n'avons trouvé aucune trace de cette famille d'origine irlandaise ni avant ni après, ils étaient voisins des Doherty/Carroll et de Richard Jennings.
.
Aux élections générales le député et premier ministre libéral Louis Alexandre Taschereau est réélu facilement. Il représente le comté depuis 1900!
Le recenseur était Joseph Auclair, époux de Aurélie Vallée.
Évidemment, une analyse plus poussée et comparative avec les recensements précédents serait aussi d'un grand intérêt, en attendant la publication des résultats de celui de 1941, qui devrait sortir en 2033. Sinon, nous avons aussi accès aux listes électorales des années 1935 à 1949 ici: https://garyjobrien.wixsite.com/mysite/listes-%C3%A9lectorales
Il est possible de faire sa propre recherche sur les recensements ici:https://recherche-collection-search.bac-lac.gc.ca/fra/Recensement/Indice
En annexe, le tableau que j'ai dressé du recensement en ajoutant le nom de fille des femmes mariées, car il n'apparait pas dans le recensement officiel.
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