En 1944, une religieuse américaine débarque au Québec pour renouer avec ses origines et s’immerger dans la culture canadienne-française.
Le fruit de son expérience se matérialise par l’écriture d’une monographie paroissiale qui est encore aujourd’hui considérée par les spécialistes, plus de 70 ans après sa publication, comme une étude historique précieuse. Cette oeuvre « dépasse en intérêt la petite histoire locale » écrit l’ethnographe Luc Lacourcière à l'époque.
Des origines canadiennes-françaises
Née sous le nom de Mary Lucy Sanschagrin, le 18 mai 1902, à Benson, au Minnesota, soeur Marie-Ursule est la fille de Joseph Hilarion Sanschagrin et Robella Morin.
Son père est né le 12 février 1869, à Sainte-Brigitte-de-Laval, un village situé dans le comté de Montmorency, au Québec. Il est le fils de Pierre Lasalle Sanschagrin et Arzélie-Hersélie Guay. Il a émigré aux États-Unis en 1883, à l’âge de 14 ans, selon le Recensement fédéral des États-Unis de 1920. Puis, à l’âge de 26 ans, il unit sa destinée à Robella Morin, le 18 février 1895, à Swift, au Minnesota. Mary Lucy Sanschagrin a fait ses études secondaires au Benson High School, au Minnesota.
Elle entre chez les Soeurs de Saint Joseph de Carondelet, une congrégation religieuse catholique, en septembre 1923. Elle professe ses vœux religieux en août 1929 et adopte le nom de soeur Marie-Ursule. Elle poursuit ses études en obtenant un baccalauréat en français/histoire du collège de St. Catherine (St. Paul, Minnesota) et une maîtrise en littérature/histoire à l’université du Minnesota (Minneapolis). Elle enseigne le français à St. Catherine dès 1925 puis, en 1934, elle est nommée directrice de l'école secondaire Derham Hall. Elle a continué ce rôle jusqu'à ce qu'elle parte étudier au Canada.
Le début d’une passion pour le folklore
En 1944, elle décide de venir au Québec pour suivre des cours de littérature à l’université Laval. Cette année-là, sous l’impulsion de l’ethnographe Luc Lacourcière, des archives et une chaire de folklore sont créées à l’université.
Les premiers cours sont donnés durant l’été et soeur Marie-Ursule s’inscrit à un de ceux-ci. C’est l’étincelle qui allumera son intérêt pour le folklore et qui lui donnera le goût de découvrir la vie traditionnelle du village natal de son père :
« En même temps que Québec et son université, soeur Marie-Ursule découvrit à Sainte-Brigitte-de-Laval deux oncles paternels et une nombreuse parenté. Tous l’accueillirent affectueusement, si bien que, sa curiosité étant en éveil, elle forma le projet d’explorer et de comprendre la vie traditionnelle de cette paroisse. Pendant trois années, elle visita une à une les 150 familles de Laval, consignant tout ce qu’elle voyait et entendait. En certaines occasions, pour mieux se documenter, elle n’hésita pas à chausser les raquettes et à circuler dans un petit traîneau tiré par un chien » écrit Luc Lacourcière dans l’article « Le folklore et les femmes ».
Dans les années 40, Sainte-Brigitte-de-Laval est un établissement mi-agricole, mi-forestier possédant les services courants : eau et électricité. L'Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills exploite des chantiers au nord de Sainte-Brigitte-de-Laval. Le village possède 6 moulins à scie qui emploient des habitants du village. Une trentaine de familles subsistent de l’agriculture. On y retrouve également des épiciers, artisans et des journaliers dont certains travaillent à Québec. Les Canadiens français dominent la population locale bien qu’il reste encore quelques familles d’origines irlandaises.
Ses enquêtes ethnographiques au sein de cette population forment la matière de sa thèse de doctorat Le folklore des Lavalois, « la première en folklore » à l’université Laval souligne Luc Lacourcière.
Sœur Marie Ursule s’attachera non seulement à esquisser un portrait historique minutieux de Sainte-Brigitte-de-Laval, mais elle documentera les mœurs et coutumes de ses habitants en plus des traditions orales (médecine populaire, contes, légendes, chansons).
Elle déposera sa thèse en 1947 qui sera soumise à un prestigieux jury composé de l’éminent anthropologue, ethnologue, folkloriste et ethnomusicologue Marius Barbeau, mais aussi du prêtre, écrivain et poète Félix-Antoine Savard, auteur de Menaud, Maître Draveur.
À ce sujet, Luc Lacourcière écrit en 1946, dans une lettre adressée à la révérende mère Antonius du collège de St. Catherine : « Tous ceux qui ont pris quelque connaissance du travail accompli par Soeur Marie-Ursule, pendant ses deux années de recherche à Québec, se plaisent à le qualifier d’extraordinaire. Telle est l’appréciation de M. Marius Barbeau, la première autorité canadienne en folklore, et celle de M. l’abbé Savard, considéré comme notre premier écrivain ». Dans une lettre, soeur Marie-Ursule exprime toute sa gratitude à Luc Lacourcière : « Ce que j’apprécie le plus, c’est le vif intérêt que vous avez toujours manifesté. Vous n’avez jamais hésité à laisser votre travail pour me donner les directives dont j’avais tant besoin » et elle signe « Soeur Folklore ».
Une monographie qui fera époque
Soeur Marie-Ursule recevra la mention « très grande distinction » (Le Devoir, 16 janvier 1947, p.7) pour sa thèse de 725 pages en plus d’obtenir le grade de Docteur Ès Lettres, ce qui est loin d’être banal pour une femme à l’époque.
En janvier 1950, elle reçoit une bourse de 800 dollars du Conseil canadien des recherches en sciences sociales pour la publication de son livre (Le Soleil, 26 janvier 1950, p.5). La même année, elle va étudier le folklore français à La Sorbonne après avoir obtenu la bourse Fullbright accordée par le gouvernement français. Elle poursuit des recherches au Musée national des Arts et Traditions populaires de Paris sur les origines françaises de contes qu'elle a recueillies en Amérique.
En avril 1951, son ouvrage « Civilisation traditionnelle des Lavalois » est le premier livre édité par les Presses de l’Université Laval. Au sujet de la réception de son livre, Luc Lacourcière affirme que l’ouvrage de Marie-Ursule a eu des échos autant aux États-Unis et en Europe. « En France, on salua cette publication beaucoup mieux qu’au Canada » témoigne l’ethnographe. Il cite d’ailleurs le folkloriste Paul Delarue qui écrit dans le bulletin Le Mois d’ethnographie française en 1951 : « Aucune monographie folklorique aussi complète n’a encore été rédigée sur un village de langue française, et celle-ci restera un répertoire auquel ne cesseront de se reporter les folkloristes, avec d’autant plus de confiance que la version de l’auteur n’a pas été déformée par les théories a priori qui trop souvent portent à solliciter les faits ».
Un retour au Minnesota
Soeur Marie-Ursule retourne au Minnesota enseigner le français à l’automne 1951 en plus d’être nommée conseillère au bureau des diplômées du collège St Catherine. En 1952, elle reçoit le prix Raymond-Casgrain pour son ouvrage accompagné d’une bourse de 100 dollars (Le Soleil, 14 mars 1953, p. 3)
En 1955, on la nomme secrétaire administrative de l’Association des diplômées du collège St Catherine. Elle sera attachée à ce collège jusqu’à sa retraite de l’enseignement.
Elle est décédée le 16 novembre 1972, à l’âge de 71 ans.
Ses funérailles sont célébrées dans la chapelle du collège St. Catherine et elle est inhumée au cimetière Resurrection, à Mendota, au Minnesota.
Conclusion
Sœur Marie-Ursule a laissé un legs inestimable aux habitants de Sainte-Brigitte-de-Laval avec son livre Civilisation traditionnelle des Lavalois. Un peu plus de 70 ans après la publication de son livre, la Société d’histoire de Sainte-Brigitte-de-Laval croit qu’il est venu le temps de souligner de façon significative son héritage, elle qui a fait briller Sainte-Brigitte-de-Laval un peu partout dans le monde avec sa monographie historique.
C’est pourquoi la Société d'histoire a demandé au conseil municipal, le 21 mars 2023, un appui pour nommer la nouvelle école primaire en l'honneur de Marie-Ursule Sanschagrin. Nous vous tiendrons informés des développements concernant ce dossier. Pour en savoir plus :
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