
Au fil de nos recherches, nous tombons souvent sur d’anciens toponymes aujourd’hui tombés en désuétude : la route à Gibson, le remous à Théodore, Big Billy’s Mountain, le trou à Douglas… Mais notre plus récente découverte ne s’invente pas!
À Laval, en cette première moitié du 19ᵉ siècle, un lieu porte un nom aussi évocateur que poignant : La Misère. Ce toponyme en dit long sur les conditions de vie éprouvantes de ses habitants.
À cette époque, la paroisse de Laval est encore une communauté isolée, où les routes sont rares et les communications difficiles. L’installation récente de colons irlandais et canadiens-français modifie progressivement le paysage social, mais la vie y reste rude, marquée par l’éloignement et d’une précarité certaine.
Lamotte, victime d’un abus de pouvoir

C’est en ce lieu qu’un événement troublant vient illustrer la brutalité dont pouvait faire preuve parfois les autorités. Un matin, vers cinq heures, trois policiers s’arrêtent au lieu-dit La Misère, leur voiture ayant subi un bris. Ils se rendent alors chez un homme du nom de Lamotte et lui demandent de leur céder son véhicule.
Ce dernier refuse, expliquant qu’il en a lui-même besoin pour un déplacement ce jour-là. Ce qui aurait pu rester un simple différend dégénère rapidement :
« Ils se mirent à le frapper à coups de poing, puis à coups de bâton, jusqu’à ce qu’il fût tombé sans connaissance et dangereusement blessé à la tête » rapporte le journal Le Canadien dans son édition du 7 avril 1841.
Ce passage à tabac, aussi violent qu’injustifié, met en lumière l’arbitraire auquel la population pouvait être confrontée. L’intervention musclée des policiers illustre un rapport de force inégal entre les représentants de l’État et les citoyens.
Un lieu et un incident révélateurs
Deux éléments intrigants se dégagent de cette source :
Le toponyme « La Misère », probablement un surnom attribué à une zone particulièrement pauvre ou difficile d’accès. Il témoigne des dures réalités socio-économiques auxquelles faisaient face certains habitants de la région.
Le récit de l’agression de Lamotte, qui met en lumière les tensions entre la population et les forces de l’ordre, révélant une dynamique de pouvoir marquée par l’injustice.
Loin d’être un simple fait divers, cette affaire s’inscrit dans un contexte plus large de tensions politiques et culturelles au Bas-Canada.
L’auteur du texte n’hésite d’ailleurs pas à y voir un symbole des inégalités entre les Canadiens français et les autorités coloniales : « Les Canadiens français ont été mis en dehors de la protection du gouvernement » dénonce-t-il. Une affirmation lourde de sens, qui témoigne du sentiment d’injustice ressenti par une population souvent laissée pour compte dans un système perçu comme partial et oppressif.
Qui était Lamotte?

Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons le nom de Lamotte (Lamothe) dans nos recherches. Deux articles de 1871 mentionnent une pension ou un hôtel tenu par un certain Lamotte à Laval.
Se pourrait-il qu’il s’agisse d’André Lamothe, marié à Marie-Julie Fortier le 27 novembre 1860 à Sainte-Brigitte-de-Laval? Et si la victime des policiers en 1841 était son père, André Lamothe, époux d’Antoinette Parent, marié le 16 janvier 1838 à Beauport? À moins qu’il ne s’agisse de Joseph Lamothe qui possède un moulin à scie à Laval en 1836…
Si vous avez des informations sur la famille Lamothe ou sur le lieu qu’on nommait autrefois La Misère, n’hésitez pas à contacter votre Société d‘histoire.
Conclusion
L’incident illustre bien plus qu’un simple cas de brutalité policière : il reflète les tensions profondes entre une population confrontée à l’arbitraire et au pouvoir colonial perçu comme oppressif.
Le nom même de La Misère évoque les conditions de vie difficiles dans lesquelles les habitants de Laval évoluaient.
Quant à Lamotte, dont l’identité exacte demeure incertaine pour le moment, il illustre néanmoins le sort de nombreux habitants de la région, témoins et victimes des réalités sociales de leur époque.
La transcription intégrale des sources :
Encore un exploit de la police. — Ces jours derniers, trois hommes de police partirent de cette ville pour se rendre à l’établissement de Laval, dans les profondeurs de Beauport. Arrivés près de chez un nommé Lamotte, vers cinq heures du matin, au lieu appelé la Misère, ils brisèrent quelque partie de leur voiture et demandèrent au dit Lamotte de leur donner la sienne, ce qu’il refusa de faire, disant qu’il avait lui-même un voyage à faire ce jour-là.
Les gens insistèrent et Lamotte persista dans son refus, sur quoi ils se mirent à le frapper à coups de poings, puis à coups de bâtons, jusqu’à ce qu’il fût tombé sans connaissance et dangereusement blessé à la tête.
On ne sait encore quelle sera la suite des coups qu’il a reçus.
Comme ces gens ont été arrêtés, et que les cours de justice seront probablement appelées à s’occuper de cette affaire, nous nous bornerons à rapporter les faits tels qu’on nous les a racontés. Nous dirons cependant que ce brutal assaut a tous les signes d’avoir été commis sous l’impression que sont de nature à produire les actes de l’administration actuelle et du fait que les Canadiens français ont été mis en dehors de la protection du gouvernement.
MOULIN À SCIE ET TERRE À VENDRE et possession donnée de suite.
Une terre de 15 arpents de profondeur sur 1/2 arpent de front, avec un Moulin à Scie y érigé, située en la paroisse de l'Ange Gardien, au lieu nommé Laval. Le dit Moulin situé sur le bord de la Rivière Montmorency, et on s'y rend par Beauport.
S'adresser au soussigné, propriétaire, à sa résidence, à Beauport, concession St. Michel.
6 juillet, 1836. JOSEPH LAMOTTE.
" Peu rassurant. La semaine dernière, M. Hope Sewell, marchand de cette ville, était à pêcher à Laval, à environ trois milles de la pension de Lamothe, quand tout à coup il se trouva en face d’un ours de forte taille qui se tenait sur son train de derrière et le regardait d’un air peu rassurant. M. Sewell n’avait aucune arme quelconque pour se défendre en cas d’attaque. Mais fort heureusement, l’ours s’éloigna sans rien entreprendre, à la grande satisfaction de M. Sewell."
" Ces jours derniers, M. Hope Sewell, marchand de cette ville, était à la pêche à Laval, à environ trois milles à l’est de l’hôtel Lamotte, lorsque tout à coup il se trouva face à face avec un ours énorme. Dom Martin se mit un instant sur son séant, se passa une patte sur les yeux, baissa l’air, et ne présageant aucune caresse du personnage qu’il venait de rencontrer si inopinément, décampa.
M. Sewell, en le voyant disparaître, se sentit fortement soulagé, nous dit-on. Il n’avait pour toute défense que des hameçons et une perche de ligne."
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