Sainte-Brigitte-de-Laval, paisible localité isolée et enclavée au nord-est de la région de Québec, est devenue, dès la fin des années 1960, un lieu stratégique pour les motards criminalisés. Loin de l’agitation urbaine et des regards de la police, le territoire servit de refuge et de repaire pour les gangs de motards, notamment les Pacific Rebels, qui allaient semer la terreur dans la région au cours des années suivantes.
Le présent article est le premier volet d’une série de deux articles. Le deuxième volet de cette série est consacré à la guerre des motards des années 1990, qui impliqua les Hells Angels et les Rock Machine.
L’idéalisation de la vie des motards
Dans les années 60, la vie des motards est idéalisée : le public les perçoit comme des rebelles en quête de fraternité, incarnant un esprit de liberté et d'indépendance. Ce mode de vie suscite l'admiration, répondant au besoin de s'affranchir des conventions.C'est dans ce contexte que Radio-Canada consacre un épisode de son émission L'envers des hommes au monde des motards. Diffusé le 25 août 1968, cet épisode est enregistré dans un vieux chalet à Sainte-Brigitte-de-Laval. Voici une description de l’épisode :
Ils se sont appelés les motards. Ils sont âgés de 18 à 30 ans. La plupart d'entre eux ne travaillent pas et ne veulent pas travailler. Ils réclament la liberté absolue à l'égard de l'amour, de l'argent, de la religion. Leur révolte s'exprime dans le bruit assourdissant de leur moto, dans le danger constant de la vitesse et des prouesses dont ils s'enivrent.
Ils vivent, dans une étonnante communauté, d'une foi virile qui n'a pourtant aucune racine profonde. Ils heurtent la conscience collective par volonté de le faire. Ils se sont isolés dans un monde où la violence gronde.
Selon l’historien des motards Dan Fielding, les membres filmés dans cette émission appartenaient au club The Rebel’s. Par la suite, certains d’entre eux ont rejoint brièvement le chapitre de la Vieille Capitale des Devil’s Disciples en 1969, un groupe originaire de Montréal.
Le film américain Easy Rider, paru en 1969, a joué aussi un rôle significatif dans l’idéalisation de la vie des motards en présentant le mode de vie des bikers comme un symbole de liberté, d’indépendance, et de rejet des conventions de la société dominante.
Les personnages principaux, Wyatt et Billy (joués par Peter Fonda et Dennis Hopper), incarnent des rebelles modernes, cherchant la liberté sur leurs motos à travers des paysages américains emblématiques. Cette représentation a contribué à la perception des motards comme des figures contre-culturelles et libres.
Dans ce contexte, les clubs de motards devenaient un terreau fertile pour le recrutement de jeunes hommes en quête de liberté. Mais, la réalité sur le terrain était beaucoup plus sombre que celle projetée dans les salles obscures…
L’ascension des Pacific Rebels
Les Pacific Rebels, groupe distinct des membres du club The Rebel's cité précédemment, évoluèrent dans la région de Québec de la fin des années 1960 jusqu’à la fin des années 1970. Selon Dan Fielding, les Pacific Rebels, connu aussi sous le diminutif de Pace's, étaient notamment composés d'anciens membres du club Les Expériences. Leur ascension coïncida avec une montée de la violence entre gangs, atteignant son apogée en 1974.
Le club rassemblait environ une centaine d’individus. Il était un des plus importants au Québec à cette époque avec les Atomes, les Gitans et les Outlaws.
Durant ce conflit, la violence devint quotidienne : fusillades, meurtres, tentatives d’assassinat, et même un attentat à la voiture piégée devant le Château Frontenac (Montréal-matin, mardi 5 février 1974), à la Place d'Armes dans le Vieux-Québec, marquèrent cette période de chaos. Le conflit s’étendit jusqu’en 1976, avec des conséquences graves pour la région de Québec.
Avant la guerre des motards des années 1990
Les événements marquants de cette période eurent lieu bien avant la tristement célèbre guerre des motards des années 1990. Dans les années 1970, cependant, les Pacific Rebels avaient déjà semé les graines de cette violence future. Ils possédaient plusieurs cachettes et lieux de réunion, notamment à Charlesbourg-Ouest, au Lac Bleu à Lac-Beauport, et quelques chalets dans la région, dont des maisons à Sainte-Brigitte-de-Laval.
C’est dans ce cadre que deux jeunes membres du gang furent arrêtés par des agents de la région de Québec en juillet 1974 (A propos, 29 juillet 1974, lundi 29 juillet 1974). Ils étaient soupçonnés d’avoir volé une vingtaine de carabines dans un magasin de sport à Lac-Beauport et furent surpris en train d’effacer les numéros de série des armes volées dans un chalet de Sainte-Brigitte-de-Laval.
La découverte du corps de Carole Côté à Sainte-Brigitte-de-Laval
Parmi les événements marquants liés à cette période de violence, le meurtre de Carole Côté en 1974 reste un mystère non résolu. D’ailleurs, son dossier est toujours répertorié à la Sûreté du Québec.
Carole, une jeune femme de 22 ans sans antécédent judiciaire, disparut de son domicile à Québec en janvier 1974. En mars, son sac à main fut retrouvé par hasard à Sainte-Brigitte-de-Laval et quelques semaines plus tard, en mai 1974, son corps en décomposition fut retrouvé par un adolescent à l’orée d’un bois (Montréal-Matin, samedi 18 mai 1974), à proximité du lieu de la découverte du sac.
L’autopsie révéla que Carole avait été atteinte de trois balles de 9 mm au thorax, provoquant une mort instantanée. Une crosse de carabine cassée est également retrouvée sur les lieux du meurtre.
Les autorités soupçonnaient un lien avec la guerre des motards, surtout après qu’un témoin ait rapporté l’avoir vue en compagnie d’un homme proche des Pacific Rebels.
Ce meurtre, ainsi que d’autres féminicides survenus la même année dans la région, comme celui d’Hélène Hébert et de Francine Tremblay, fut attribué à cette vague de violence orchestrée par les gangs. Encore aujourd’hui, c’est l’hypothèse retenu par la SQ : « l’enquête démontre qu’il pourrait s’agir d’une victime collatérale de la guerre des motards qui sévissait dans la région de Québec dans les années 1970 ». Toute information pouvant aider à résoudre ce crime peut être communiquée à la Centrale de l’information criminelle de la Sûreté du Québec, au 1 800 659-4264.
La Commission d’enquête et l'effondrement des Pacific Rebels
En septembre 1979, dans le cadre de la Commission d’enquête sur le crime organisé (CECO), le sergent-détective Eddy Villeneuve et l’agent Normand Lamothe révélèrent des détails sur la guerre des gangs impliquant principalement deux groupes : celui de Dan Cloutier et les Pacific Rebels (Le soleil, 6 septembre 1979, Cahier A), dont la plupart des membres étaient désormais en prison.
Les enquêteurs mirent en lumière l’emprise des gangs sur les bars de la région, en détaillant leurs méthodes d’extorsion et leur recours systématique à la violence pour maintenir leur contrôle.
Les Pacific Rebels étaient également impliqués dans des vols à main armée fréquents, notamment dans des banques. Pendant les années de terreur, ils pouvaient commettre jusqu’à deux braquages par semaine. Ces activités criminelles furent la cause de l’arrestation de plusieurs de leurs membres, qui furent envoyés en prison pour des hold-up.
Entre la fin des années 70 et le début des années 90, la région retrouve un calme relatif. On rapporte une importante saisie de haschich (30 kg) impliquant d'anciens Pacific Rebels (La presse, 26 novembre 1987, Cahier A) à Beauport, Sainte-Brigitte-de-Laval, Lennoxville, Ascot Corner et Montréal, en novembre 1987, mais les crimes violents impliquant des motards sont en baisse marquée dans la région.
Conclusion
Bien que la fin des années 70 ait apporté une accalmie relative, les graines de violence semées par les Pacific Rebels allaient germer de nouveau au début des années 90, déclenchant un nouveau chapitre de rivalités sanglantes. Avec l'arrivée des Rock Machine, fondés par Salvatore Cazzetta en 1986, et leur implantation dans la région de Québec – notamment sur le boulevard Raymond à Beauport, près de Sainte-Brigitte-de-Laval – la rivalité avec les Hells Angels s'intensifia.
Ce nouveau chapitre de la guerre des motards, que nous explorerons dans la seconde partie de cette série, allait redéfinir le paysage criminel de la région, plongeant Québec dans une guerre ouverte dont les échos se font encore entendre aujourd'hui. Si vous avez des informations supplémentaires concernant cette époque des Pacific Rebels ou de la guerre des motards des années 90 (photos, témoignages, anecdotes), n'hésitez pas à nous écrire à societehistoiresbdl@gmail.com
Sources complémentaires :
Évolution d'une population délinquante (groupes de motards) Les victimes du crime organisé - Avis de recherche (épisode d'un balado qui évoque le meurtre de Carole Côté)
Comments