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  • Photo du rédacteurMarc Gadoury

Le procès de James Brookes : tensions rurales à Sainte-Brigitte-de-Laval


Image générée par Dalle-2 pour illustrer le procès de James Brooks

Dans la tranquillité apparente de la paroisse de Laval au 19e siècle, un drame juridique se jouait, mettant en lumière les coutumes sociales et judiciaires de l'époque. Le procès de James Brookes, accusé de vol par son voisin James Doherty, nous transporte à une époque où la parole valait contrat, et où la réputation pouvait sceller le destin d'un individu. Il donne un aperçu rare des rouages de la justice et de la vie rurale dans la paroisse de Laval au 19e siècle.

 

D'abord, une accusation de vol


Le procès est rapporté dans le Morning Chronicle and Commercial and Shipping Gazette du lundi 29 juin 1868. James Brookes, un fermier de la paroisse de Laval, fut traduit en justice, accusé de vol par James Doherty, un voisin et messager à la Chambre des Communes. Pendant l'absence de Doherty à Ottawa, Brookes avait la responsabilité de veiller sur la ferme des Doherty. À leur retour, Mme Doherty découvrit une fenêtre ouverte et constata la disparition de divers produits agricoles. Bien que Brookes ait admis avoir pris certains objets chez lui et avoir mangé le veau de la famille Doherty, il soutint qu'il agissait ainsi pour régler une dette impayée envers lui.

 

Un mandat de perquisition confirmait la présence des objets manquants dans la résidence de Brookes. Au tribunal, le constable Faucher témoigna que Brookes était prêt à rendre les objets.

 

Plusieurs témoins furent appelés, certains remettant en question la réputation et la crédibilité des Doherty. Le caractère de Mme Doherty fut notamment critiqué, et des doutes furent exprimés quant à la probité de M. Doherty. Malgré les témoignages et les preuves, le juge en chef Duval indiqua que l'issue reposait sur la crédibilité des témoins.

 

La preuve par la parole : témoignages et contradictions

 

Au cœur de cette affaire, la confiance accordée par James Doherty à son voisin, James Brookes, est une manifestation tangible des liens sociaux de l'époque. Les obligations de voisinage allaient au-delà de la simple cordialité; elles impliquaient des responsabilités et des attentes mutuelles. Quand cette toile se déchire, comme dans l'accusation de vol portée contre Brookes, c'est toute la communauté qui en ressent les secousses.

 

Le statut de James Doherty, en tant que messager à la Chambre des Communes, est loin d'être un détail périphérique. Cela indique une position de responsabilité et de confiance au sein de la société.

 

Le cœur du procès réside dans les témoignages contradictoires des Doherty, ainsi que dans ceux des témoins pour la défense. La défense a habilement mis en doute la fiabilité des Doherty, suggérant une possible vendetta.

 

Mme Doherty, en tant que témoin clé, défie les idées préconçues sur le rôle des femmes dans le système judiciaire de l'époque. Sa présence active et décisive dans le procès conteste l'idée d'une passivité féminine dans les sphères publiques.

 

La preuve matérielle

 

Des objets apparemment banals - une hache, un pot, un coussin - deviennent des protagonistes silencieux, mais éloquents de l'histoire. Leur présence chez Brookes est incontestable, mais leur chemin vers sa demeure et l'intention derrière leur accumulation restent flous, soulevant des questions sur le droit de possession et la preuve. De plus, le vol présumé d'un veau, animal essentiel à la survie et à l'économie d'une ferme, est un acte que Mme Doherty relate avec une accusation directe envers Brookes. La perte de cet animal et l'aveu de sa consommation par l'accusé sont loin d'être anecdotiques ; ils témoignent des nécessités de subsistance et du poids de la confiance accordée.

 

Le poids des perceptions

 

Des témoignages sur la réputation de Mme Doherty peignent une image douteuse de son caractère, influençant potentiellement le jury. Dans une époque où les réseaux communautaires étaient étroits et les opinions personnelles puissantes, l'image publique pouvait être un facteur décisif.

 

La défense met en lumière un tableau contrastant des Doherty à travers les yeux des témoins convoqués. Des commentaires sur leur réputation - les allégations de vengeance et les doutes sur leur intégrité - viennent colorer le récit. Certains, comme Patrick Dwyer et Timothy Ryan, affirment ouvertement qu'ils ne croiraient pas Mr. Doherty sur serment, peignant ainsi une image moins flatteuse de l'accusateur.

 

Les témoins Robert Ross et Mrs William Dawson apportent des nuances subtiles à l'histoire. Ross, par exemple, met en évidence que le fils de M. Doherty était à Laval l'hiver dernier. Il est entré dans la maison de son père par la fenêtre et y a dormi. Le matin, il a emporté chez Brookes le coussin, la hache et un fagot de paille. Mrs Dawson note les visites fréquentes de Doherty chez l'accusé, suggérant une familiarité et peut-être une dette d'honneur entre les deux hommes.

 

Le témoignage de James Hickey est encore plus direct : le caractère de Mme Doherty à Laval est celui d'une « mauvaise personne » déclare-t-il. Son témoignage met en lumière les tensions personnelles existant au sein de la communauté.

 

Le constable Faucher, exécutant le mandat de perquisition, apporte une perspective officielle, notant que Brookes était prêt à rendre les objets, contredisant l'image d'un voleur malveillant. Cela laisse entrevoir une possible méprise ou une communication défaillante entre les parties.

 

Le verdict du procès de James Brookes

 

Le juge en chef met l'accent sur la nécessité d'une preuve sans doute raisonnable, un principe toujours vivace dans le système judiciaire moderne. Le rapide acquittement de Brookes par le jury, après une courte délibération, pourrait refléter la force des perceptions populaires sur la balance de la justice.  

 

Le verdict rapide de non-culpabilité rendu par le jury est significatif. Il met en lumière le bénéfice du doute et la possibilité que le sens communautaire de la justice prévale sur des preuves possiblement incertaines. Ce dénouement parle d'une époque où la loi était autant une affaire de preuves que de perceptions.

Conclusion


Tandis que le rideau tombe sur le procès de James Brookes, une réflexion s'impose : si les échos de la salle d'audience du 19e siècle semblent lointains, ils résonnent étonnamment en phase avec notre réalité actuelle.


Hier comme aujourd'hui, la réputation d'un individu peut être façonnée ou démolie par le pouvoir des mots, qu'ils soient prononcés à haute voix ou tapés sur un clavier. Les ouï-dire de Laval, qui se propageaient d'une oreille à l'autre à travers les champs et les foyers, trouvent leur pendant moderne dans les fils d'actualité et les commentaires instantanés des réseaux sociaux. La communauté de la paroisse de Sainte-Brigitte-de-Laval a laissé place aux réseaux virtuels où se tissent des narrations multiples, souvent sans vérification ni recours. L'affaire Brookes, avec ses rumeurs et ses réputations malmenées, nous rappelle que la nature humaine demeure constante dans son appétit pour le drame et la controverse, dans la facilité avec laquelle les opinions sont formées et dans la rapidité avec laquelle les jugements sont portés. Ce parallèle intemporel est un témoignage de notre besoin continu d'exercer la prudence et la compassion dans notre quête de vérité et de justice, que ce soit dans les champs échoissants du passé ou dans le bourdonnement numérique de notre ère.


Traduction française du procès de James Brookes

TRIBUNAL DU BANC DE LA REINE - CÔTÉ COURONNE

 

Le procès de James Brookes

 

Présents : l'Honorable Juge en Chef Duval et l'Hon. M. le Juge Caron.

 

Le tribunal ouvrit ponctuellement à dix heures.

 

Le premier procès fut celui de James Brookes, fermier de la paroisse de Laval, accusé de vol. L'accusation contre lui fut portée par James Doherty, un voisin, qui avait placé Brookes responsable de sa ferme pendant son absence temporaire à Ottawa, où il était engagé comme messager à la Chambre des Communes.

 

TÉMOIGNAGES.

 

Mme James Doherty a témoigné sous serment.

 

— Je connais l'accusé ; il est un de nos voisins à la paroisse de Laval. Nous vivions en ville pendant l'hiver dernier, ayant quitté Laval en novembre. Nous avons tout verrouillé avant de partir. Quand je suis revenue en mars, j'ai trouvé une des fenêtres ouvertes. Je suis retourné en mai, et tous mes produits agricoles manquaient. J'ai interrogé le prisonnier au sujet des objets disparus, mais il m'a insultée. L'accusé avait en charge les animaux et les produits de la ferme. Il a amené les choses à sa propre maison. Il a dit qu’il les gardait pour un compte que mon mari lui devait. J'ai trouvé la hache, le pot et d'autres objets maintenant présentés devant le tribunal, chez le prisonnier. L'accusé a refusé de me donner ces objets. Il m'a dit qu'il avait tué le veau et l'avait mangé. Je n'ai pas retrouvé notre foin ou notre avoine en sa possession, mais nous avons perdu notre foin et avoine. Un mandat de perquisition a été émis et les objets ont été trouvés dans sa maison.

 

Mme James Doherty contre-interrogée par M. Alleyn.

 

— Quand nous avons quitté Laval l'hiver dernier, nous avons demandé à l'accusé de prendre soin de nos biens et de nourrir nos vaches, et nous lui avons laissé les clés de notre maison et de notre ferme. Je n'ai pas donné la clé de ma maison à M. Boylen, mais je lui ai demandé de s'assurer que notre bétail soit nourri pendant notre absence. Mon fils a quitté ma maison en mars dernier, mais n'est pas revenu depuis. Je suis allé à Laval à la recherche de mon fils, mais je n'ai pas pu le trouver. Brookes, le prisonnier, m'a fait appeler pour libérer mon bétail, qui était retenu pour intrusion. C'est après être allé deux fois à la maison de Brookes pour récupérer le bétail que j'ai obtenu un mandat de perquisition. Je ne jurerai pas que mon mari n'a pas laissé ces objets au prisonnier. Nous étions en bons termes avec le prisonnier lorsque nous avons quitté Laval. (La déposition du témoin prise devant le magistrat a été lue.) Brookes devait être payé pour ses services. Je ne sais pas s'il a déjà été payé. Je jure que je n'ai pas accusé M. Boylen de voler mes affaires.

 

James Doherty, le mari du premier témoin, a été interrogé. — J'étais engagé à Ottawa pendant l'hiver comme messager à la Chambre des Communes. Je me trouvais à Laval en janvier, et j'ai constaté que la fenêtre était cassée et que plusieurs de mes affaires manquaient. J'en ai retrouvé plusieurs dans la maison de Brookes quand j'étais à Laval en janvier. Je lui ai dit que s'il ne les rendait pas, je ferais appel à la justice. J'ai trouvé le coussin, la scie, la houe, le pot et la meule dans la maison du prisonnier. Le prisonnier a sorti la peau d'un veau et me l'a jetée dessus, en disant que c'était le mien et qu'il avait mangé le veau.

 

James Doherty contre-interrogé par M. Alleyn —Je suis allé à Laval en janvier, quand mon garçon de service m'a dit que la fenêtre de ma cabane était cassée. Je devais donner 4$ à Brookes pour son dérangement. J'ai montré la liste des choses maintenant en ma possession à Burns dans le couloir du tribunal, ce matin. Burns doit être interrogé dans cette affaire par la couronne.

 

Le constable Faucher a été le suivant à témoigner, à propos de l'exécution du mandat de perquisition émis par la Cour de Police.

 

— Le prisonnier a dit qu'il rendrait les objets volontiers. Il a également dit que le fils de Doherty lui avait prêté la hache. Il m'a expliqué comment il est entré en possession de plusieurs des articles pour lesquels il est maintenant accusé de vol. Le prisonnier n'a pas tenté de cacher quoi que ce soit, mais me les a remis dès que je les ai demandés.

 

Thomas Burns, fermier à Laval, a témoigné, mais ne savait rien sur l'affaire.

 

M. Alleyn, l'avocat de la défense, dans son adresse au jury, a argué que l'accusation avait été montée de toutes pièces par les Doherty dans un but de vengeance, et indiquant leur malveillance personnelle. Le témoignage des Doherty variait également sur le paiement qui aurait été fait au prisonnier pour ses services, ce qui rendait leurs déclarations sans valeur. Il a ensuite relu les témoignages, commentant les contradictions, et a appelé les témoins suivants pour la défense :

 

Robert Ross a prouvé que James Doherty, le fils du premier témoin, était à Laval l'hiver dernier. Il est entré dans la maison de son père par la fenêtre et y a dormi. Le matin, il a emporté chez Brookes le coussin, la hache et un fagot de paille.

 

Charles McLean connaît la ferme de M. Doherty à Laval. Je suis allé à Laval et j'ai vu toutes les choses chez Brookes. M. Doherty utilisait la hache pendant qu'elle était en possession du prisonnier. Les patates étaient gardées dans un champ proche du chemin public.

 

Mrs. William Dawson, de Laval, dit que Doherty visitait fréquemment la maison de l'accusé.

 

Patrick Dwyer — Je ne croirais personnellement pas M. Doherty sur son serment. Il ne savait pas que M. Doherty était un messager à la Chambre des Communes.

 

Timothy Ryan, assermenté — Je ne croirais pas M. Doherty sous serment. Il peut y avoir ou non d'autres personnes à Laval qui partagent mon opinion.

 

Contre-interrogé.—Je sais que M. Dwyer et M. Doherty ont eu un procès ensemble. J'ai été témoin pour M. Dwyer.

 

James Hickey, assermenté : Le caractère de Mme Doherty à Laval est celui d'une mauvaise personne. Ce témoignage a clôturé le cas.

 

Le Juge en Chef, en soumettant l'affaire au jury, a dit que les articles dont le prisonnier était accusé d'avoir volé, bien qu'ils soient de très faible valeur, il est vrai, si le jury pensait que le prisonnier était coupable, l'infraction était de nature très aggravante. Il avait été laissé responsable de ces choses et avait mal utilisé la confiance placée en lui. Son Honneur a lu les témoignages de Doherty et a dit que l'affaire reposait sur le degré de crédibilité à accorder à son témoignage. S'ils avaient le moindre doute à ce sujet, le prisonnier avait droit au bénéfice du doute ; et ils devraient l'acquitter. Le jury, après quelques minutes de délibération et sans quitter leur place, a rendu un verdict de "non coupable", et le prisonnier a été libéré.


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