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  • Alain Marcoux

Les ponts de glace : histoire locale, histoire mondiale

Les routes de glace ou ponts de glace sont des ouvrages fabriqués par l’homme à partir de surfaces aquatiques gelées en hiver. On les retrouve naturellement dans les territoires nordiques comme au Canada, en Russie et en Scandinavie.  Ils peuvent être de petites envergures ou de forts grands ouvrages.

Photo : Pont de glace, Montréal-Longueuil, 1912 ?, Collection Michel Bazinet


Les ponts de glace à Ste-Brigitte


À Ste-Brigitte, sur la rivière Montmorency, on connaît l’existence de 2 principales traverses naturelles d’hiver.  Ce sont des endroits où naturellement, les glaces forment un passage qui permet à l’homme, aux animaux sauvages et même à de la machinerie de circuler.  Les ponts de glace se forment plutôt naturellement, mais ils peuvent aussi être forgés par la main de l’homme.  On peut aider la glace à se renforcir.  Ces ponts de glace permettent d’accéder à des endroits qui sont parfois inaccessibles autrement ou encore d’accéder à des endroits accessibles, mais bien plus facilement. 


Un premier pont de glace naturel se forme dans les environs du sentier des dunes, habituellement légèrement un peu au sud en en diagonal entre les deux rives. Il en existe un autre à environ 5 km en amont du village. Monsieur Paul-Arthur Giroux, un ainé de Ste-Brigitte connaît bien les ponts de glace puisqu’il utilise ce dernier pont pour rejoindre sa terre située sur la rive est de la Montmorency.  Il dit, ‘’autant que je me souvienne, ce pont de glace a toujours été là.  Quand j’étais petit, des camions remplis de bois traversaient la rivière sur ce pont’’.  Ce pont de glace rendait possible l’exploitation forestière sur divers versants de montagnes au nord-est de Ste-Brigitte de l’autre côté de la rivière, notamment dans le secteur du ruisseau Brebel. C’était du bois en provenance des terres du Séminaire.  La fonction principale des ponts de glace de Ste-Brigitte était de donner accès aux ressources forestières et à faciliter leurs transports.


Savoir-faire


Si le pont de glace se crée de façon naturelle, il faut l’action de l’homme pour en faire un pont qui va durer le plus longtemps possible et soit sécuritaire. C’est ce que ‘’Paul-Arthur’’ sait faire. ‘’Il faut aider la nature.’’ Premièrement, il faut bien observer et analyser ce que la nature produit dans l’eau.  Il faut faire la différence entre la glace blanche, la glace grise et la glace bleue.  La glace bleue étant la plus solide.  Il faut savoir épaissir la glace en utilisant certaines techniques (faire monter l’eau).  Il faut savoir entendre et comprendre la glace qui ‘’respire et qui soupire’’ car cela donne des indications sur la qualité de la glace.  Il faut savoir maintenir l’épaisseur et la solidité de la glace. 


Référence


Un superbe exemple : Le pont de glace entre Québec et Lévis


Quartier Cap-Blanc - Vue prise de Lévis - Pont de glace - 1892 - BANQ

Au Québec, de nombreux exemples de ponts de glace existent. Certains sont toujours en fonction. Un pont de glace des plus connus est celui qui existait jadis entre Québec et Lévis.


Avant l’ouverture du pont de Québec en 1917, le pont de glace entre Québec et Lévis était très important du point de vue socio-économique.  Il permettait un lien stratégique éphémère de quelque mois entre la rive nord et la rive sud de la grande région de Québec.  Des activités d’échanges se mettaient en place au fil de la glace, un petit village naissait pour quelques mois. Imaginez, un certain temps, on y installait des abris avec poêle à bois et l’on servait du poisson frit fraîchement pêché.  Étant situés en dehors des juridictions municipales de Lévis et Québec, certains avaient ouvert des débits de boisson où l’on pouvait se réchauffer en prenant un bon gin. Cet exemple illustre très bien que le pont de glace a pu constituer un apport socio-économique important. Le pont de glace a servi souvent au transport de marchandises volumineuses, de bois, de briques et de troupeaux d’animaux.


Le pont de glace de Léningrad ou la Route de la vie



Un des faits historiques les plus importants en lien avec un pont de glace est survenu pendant la Deuxième Guerre mondiale lors du siège de Leningrad. Les troupes allemandes ont assiégé cette ville pendant plus de 2 ans causant la mort de plus d’un million de personnes. Les Allemands contrôlaient la presque totalité du territoire entre la mer Baltique et le lac Ladoga.  Les Russes quant à eux réussissaient à contrôler une petite parcelle sur le lac Ladoga. À partir de novembre 1941, les Russes ont réussi à établir un pont de glace d’une longueur de plus de 150 km menant à Leningrad.  Des vivres ont pu être acheminés, du ravitaillement pour les usines.  On estime que 1,3 million de personnes ont pu s’échapper par ce pont de glace.  On appela ce pont de glace ‘’la route de la vie’’.  Le premier convoi de traineaux était tiré par des chevaux.  Par la suite des véhicules lourds purent emprunter la voie et on y construisit même un chemin de fer.


Pour en savoir plus…



Anecdote : Monsieur l'inspecteur


Ici, les ponts de glace n’ont jamais comporté les mêmes enjeux. Quoique autour d’un pont de glace peut toujours se tramer toujours une histoire. Monsieur Giroux nous a raconté une mésaventure qui est arrivée à un promeneur sur ‘’son’’ pont de glace.  ‘’ Je surveillais la prise des glaces sur la rivière.  Le pont n’était pas encore ‘’pris’’.  Un jour, j’ai marché de la rive jusqu’à peu près le milieu de la rivière.  Il manquait quelques pouces pour que ce soit gelé de bord en bord.  Monsieur Giroux avait aussi construit une tyrolienne qui lui permettait de traverser la rivière en dehors de la période où il n’y a pas de pont de glace.  Ainsi, il traversa la rivière avec sa tyrolienne.  Il marcha à nouveau vers le milieu de la rivière, mais cette fois-ci à partir de la rive opposée.  Cette journée-là, il neigeait.  Un mélange de glace fragile et de neige a donné l’impression que le pont de glace était complet.  Mais la neige n’avait pas dissimulé les traces de pas sur la neige bien soutenue par la glace de part et d’autre de la partie qui n’était pas encore bien gelée. 


Et-voilà que Paul-Arthur entend de grands cris. Il accourt. Il constate qu'un type se débat dans l'eau glaciale au milieu de la rivière. Il vient à son secours. Il réussit à le sortir de l'eau.

Il s'agissait de l'inspecteur municipal qui avait reçu le mandat d'aller faire l'inspection des bâtiments sur la propriété de monsieur Giroux. L'inspecteur a sans doute cru en constatant qu'il y avait des traces qui semblaient traverser la rivière au complet que le passage était sécuritaire et s'y engagea. Pour monsieur Giroux, la morale de cette histoire, est que tu peux bien avoir fait de grandes études et tenter d'appliquer plein de règlements, rien ne surpasse l'expérience. Monsieur l'inspecteur avait peut-être des connaissances en bâtiment mais certainement pas en pont de glace. Il va sans dire que l'inspecteur trempé, frigorifié et ébranlé n'a pas inspecté la propriété de monsieur Giroux.


Patrimoine immatériel en danger


Première illustration d’un pont de glace par Élizabeth Simcoe en 1792


Dans un article d’Yves Hébert, intitulé Ponts de glace sur le fleuve Saint-Laurent sur le site internet de l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, on retrouve notamment le passage suivant; Les ponts de glace constituent un patrimoine immatériel en raison des nombreux récits et représentations picturales qui nous sont parvenus.


Outre les récits et les représentations picturales dont parle monsieur Hébert, il convient d’ajouter aussi qu’un savoir-faire est en train de disparaître.  Paul-Arthur Giroux est sans doute une des dernières personnes à détenir tous les secrets d’un bon pont de glace.

On ne peut que constater aujourd’hui, que le réchauffement climatique et dans certains cas, pour des raisons de décisions réglementaires municipales, ce patrimoine est en sérieux danger. 

 

Référence


Merci à monsieur Paul-Arthur Giroux









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